Le discours d’Allan Kardec du 1er novembre 1868, à la séance annuelle commémorative de la fête des morts, a été publié dans la Revue Spirite de 1868.
« En quelque lieu que se trouvent deux ou trois personnes assemblées en mon nom, je m’y trouve au milieu d’elles. » (St Mathieu, ch. XVIII, v. 20.)
Chers frères et sœurs spirites,
Nous sommes réunis, en ce jour consacré par l’usage à
la commémoration des morts, pour donner à ceux de nos frères qui ont quitté la
terre, un témoignage particulier de sympathie ; pour continuer les
rapports d’affection et de fraternité qui existaient entre eux et nous de leur
vivant, et pour appeler sur eux les bontés du Tout-Puissant. Mais pourquoi nous
réunir ? Ne pouvons-nous faire, chacun en particulier, ce que nous nous
proposons de faire en commun ? Quelle utilité peut-il y avoir à se réunir
ainsi à un jour déterminé ?
Jésus nous l’indique par les paroles que nous avons
rapportées ci-dessus. Cette utilité est dans le résultat produit par la
communion de pensées qui s’établit entre personnes réunies dans un même but.
Mais comprend-on bien toute la portée de ce mot :
Communion de pensées ? Assurément, jusqu’à ce jour, peu de personnes s’en
étaient fait une idée complète. Le Spiritisme, qui nous explique tant de choses
par les lois qu’il nous révèle, vient encore nous expliquer la cause, les
effets et la puissance de cette situation de l’esprit.
Communion de pensée veut dire pensée commune, unité
d’intention, de volonté, de désir, d’aspiration. Nul ne peut méconnaître que la pensée ne soit une
force ; mais est-ce une force purement morale et abstraite ?
Non ; autrement on ne s’expliquerait pas certains effets de la pensée, et
encore moins de la communion de pensée. Pour le comprendre, il faut connaître
les propriétés et l’action des éléments qui constituent notre essence
spirituelle, et c’est le Spiritisme qui nous l’apprend.
La pensée est l’attribut caractéristique de l’être
spirituel ; c’est elle qui distingue l’esprit de la matière : sans la
pensée, l’esprit ne serait pas esprit. La volonté n’est pas un attribut spécial
de l’esprit, c’est la pensée arrivée à un certain degré d’énergie ; c’est
la pensée devenue puissance motrice. C’est par la volonté que l’esprit imprime
aux membres et au corps des mouvements dans un sens déterminé. Mais si elle a
la puissance d’agir sur les organes matériels, combien cette puissance ne doit-elle
pas être plus grande sur les éléments fluidiques qui nous environnent ! La
pensée agit sur les fluides ambiants, comme le son agit sur l’air ; ces
fluides nous apportent la pensée, comme l’air nous apporte le son. On peut donc
dire en toute vérité qu’il y a dans ces fluides des ondes et des rayons de
pensées qui se croisent sans se confondre, comme il y a dans l’air des ondes et
des rayons sonores.
Une assemblée est un foyer où rayonnent des pensées
diverses ; c’est comme un orchestre, un chœur de pensées où chacun produit
sa note. Il en résulte une multitude de courants et d’effluves fluidiques dont
chacun reçoit l’impression par le sens spirituel, comme dans un chœur de
musique, chacun reçoit l’impression des sons par le sens de l’ouïe.
Mais, de même qu’il y a des rayons sonores harmoniques
ou discordants, il y a aussi des pensées harmoniques ou discordantes. Si
l’ensemble est harmonique, l’impression est agréable ; s’il est
discordant, l’impression est pénible. Or, pour cela, il n’est pas besoin que la
pensée soit formulée en paroles ; le rayonnement fluidique n’existe pas
moins, qu’elle soit exprimée ou non ; si toutes sont bienveillantes, tous
les assistants en éprouvent un véritable bien-être, ils se sentent à
l’aise ; mais s’il s’y mêle quelques pensées mauvaises, elles produisent
l’effet d’un courant d’air glacé dans un milieu tiède.
Telle est la cause du sentiment de satisfaction que
l’on éprouve dans une réunion sympathique ; il y règne comme une
atmosphère morale salubre, où l’on respire à l’aise ; on en sort
réconforté, parce qu’on s’y est imprégné d’effluves fluidiques salutaires. Ainsi s’expliquent aussi
l’anxiété, le malaise indéfinissable que l’on ressent dans un milieu
antipathique, où des pensées malveillantes provoquent, pour ainsi dire, des
courants fluidiques malsains.
La communion de pensées produit donc une sorte d’effet
physique qui réagit sur le moral ; c’est ce que le Spiritisme seul pouvait
faire comprendre. L’homme le sent instinctivement, puisqu’il recherche les
réunions où il sait trouver cette communion ; dans ces réunions homogènes
et sympathiques, il puise de nouvelles forces morales ; on pourrait dire
qu’il y récupère les pertes fluidiques qu’il fait chaque jour par le
rayonnement de la pensée, comme il récupère par les aliments les pertes du
corps matériel.
A ces effets de la communion de pensées, s’en joint un
autre qui en est la conséquence naturelle, et qu’il importe de ne pas perdre de
vue : c’est la puissance qu’acquiert la pensée ou la volonté, par
l’ensemble des pensées ou volontés réunies. La volonté étant une force active,
cette force est multipliée par le nombre des volontés identiques, comme la
force musculaire est multipliée par le nombre des bras.
Ce point établi, on conçoit que dans les rapports qui
s’établissent entre les hommes et les Esprits, il y a, dans une réunion où
règne une parfaite communion de pensées, une puissance attractive ou répulsive
que ne possède pas toujours un individu isolé. Si, jusqu’à présent, les
réunions trop nombreuses sont moins favorables, c’est par la difficulté
d’obtenir une homogénéité parfaite de pensées, ce qui tient à l’imperfection de
la nature humaine sur la terre. Plus les réunions sont nombreuses, plus il s’y
mêle d’éléments hétérogènes qui paralysent l’action des bons éléments, et qui
sont comme les grains de sable dans un engrenage. Il n’en est point ainsi dans
les mondes plus avancés, et cet état de choses changera sur la terre, à mesure
que les hommes y deviendront meilleurs.
Pour les Spirites, la communion de pensées a un
résultat plus spécial encore. Nous avons vu l’effet de cette communion d’homme
à homme ; le Spiritisme nous prouve qu’il n’est pas moins grand des hommes
aux Esprits, et réciproquement. En effet, si la pensée collective acquiert de
la force par le nombre, un ensemble de pensées identiques, ayant le bien pour
but, aura plus de puissance pour neutraliser l’action des mauvais
Esprits ; aussi voyons-nous que la tactique de ces derniers est de pousser
à la division et à l’isolement. Seul, un homme peut succomber, tandis que si sa
volonté est corroborée par d’autres volontés, il pourra résister, selon
l’axiome : L’union fait la force, axiome vrai au moral comme au physique.
D’un autre côté, si l’action des Esprits malveillants
peut être paralysée par une pensée commune, il est évident que celle des bons
Esprits sera secondée ; leur influence salutaire ne rencontrera point
d’obstacles ; leurs effluves fluidiques, n’étant point arrêtées par des
courants contraires, se répandront sur tous les assistants, précisément parce
que tous les auront attirées par la pensée, non chacun à son profit personnel,
mais au profit de tous, selon la loi de charité. Elles descendront sur eux en langues de feu, pour nous
servir d’une admirable image de l’Evangile.
Ainsi, par la communion de pensées, les hommes
s’assistent entre eux, et en même temps ils assistent les Esprits et en sont
assistés. Les rapports du monde visible et du monde invisible ne sont plus
individuels, ils sont collectifs, et par cela même plus puissants pour le profit
des masses, comme pour celui des individus ; en un mot, elle établit la
solidarité, qui est la base de la fraternité. Chacun ne travaille pas seulement
pour soi, mais pour tous, et en travaillant pour tous chacun y trouve son
compte ; c’est ce que ne comprend pas l’égoïsme.
Grâce au Spiritisme, nous comprenons donc la puissance
et les effets de la pensée collective ; nous nous expliquons mieux le
sentiment de bien-être que l’on éprouve dans un milieu homogène et
sympathique ; mais nous savons également qu’il en est de même des Esprits,
car eux aussi reçoivent les effluves de toutes les pensées bienveillantes qui
s’élèvent vers eux comme une fumée de parfum. Ceux qui sont heureux éprouvent
une plus grande joie de ce concert harmonieux ; ceux qui souffrent en
ressentent un plus grand soulagement.
Toutes les réunions religieuses, à quelque culte
qu’elles appartiennent, sont fondées sur la communion de pensées ; c’est
là, en effet, qu’elle doit et peut exercer toute sa puissance, parce que le but
doit être le dégagement de la pensée des étreintes de la matière.
Malheureusement la plupart se sont écartées de ce principe, à mesure qu’elles
ont fait de la religion une question de forme. Il en est résulté que chacun
faisant consister son devoir dans l’accomplissement de la forme, se croit
quitte envers Dieu et envers les hommes, quand il a pratiqué une formule. Il en
résulte encore que chacun va dans les lieux de réunions religieuses avec une
pensée personnelle, pour son propre compte, et le plus souvent sans aucun sentiment
de confraternité à l’égard des autres assistants ; il est isolé au milieu
de la foule, et ne pense au ciel que pour lui-même.
Ce n’est certes pas ainsi que l’entendait Jésus quand il dit : « Lorsque vous serez plusieurs réunis en mon nom, je serai au milieu de vous. » Réunis en mon nom, c’est-à-dire avec une pensée commune ; mais on ne peut être réunis au nom de Jésus sans s’assimiler ses principes, sa doctrine ; or, quel est le principe fondamental de la doctrine de Jésus ? La charité en pensées, en paroles et en actions. Les égoïstes et les orgueilleux mentent quand ils se disent réunis au nom de Jésus, car Jésus les désavoue pour ses disciples.
Frappés de ces abus et de ces déviations, il est des
gens qui nient l’utilité des assemblées religieuses, et par conséquent des
édifices consacrés à ces assemblées. Dans leur radicalisme, ils pensent qu’il
vaudrait mieux construire des hospices que des temples, attendu que le temple
de Dieu est partout, qu’il peut être adoré partout, que chacun peut prier chez
soi et à toute heure, tandis que les pauvres, les malades et les infirmes ont
besoin de lieux de refuge.
Mais de ce que des abus sont commis, de ce qu’on s’est
écarté du droit chemin s’ensuit-il que le droit chemin n’existe pas, et que
tout ce dont on abuse soit mauvais ? Parler ainsi, c’est méconnaître la
source et les bienfaits de la communion de pensées qui doit être l’essence des
assemblées religieuses ; c’est ignorer les causes qui la provoquent. Que
des matérialistes professent de pareilles idées, on le conçoit ; car, pour
eux, ils font en toutes choses abstraction de la vie spirituelle ; mais de
la part de spiritualistes, et mieux encore de Spirites, ce serait un non-sens.
L’isolement religieux, comme l’isolement social, conduit à l’égoïsme. Que quelques
hommes soient assez forts par eux-mêmes, assez largement doués par le cœur,
pour que leur foi et leur charité n’aient pas besoin d’être réchauffées à un
foyer commun, c’est possible ; mais il n’en est point ainsi des masses, à
qui il faut un stimulant, sans lequel elles pourraient se laisser gagner par
l’indifférence. Quel est, en outre, l’homme qui puisse se dire assez éclairé
pour n’avoir rien à apprendre touchant ses intérêts futurs ? assez parfait
pour se passer de conseils dans la vie présente ? Est-il toujours capable
de s’instruire par lui-même ? Non ; il faut à la plupart des
enseignements directs en matière de religion et de morale, comme en matière de
science. Sans contredit, cet enseignement peut être donné partout, sous la
voûte du ciel comme sous celle d’un temple ; mais pourquoi les hommes
n’auraient-ils pas des lieux spéciaux pour les affaires du ciel, comme ils en
ont pour les affaires de la terre ? Pourquoi n’auraient-ils pas des
assemblées religieuses, comme ils ont des assemblées politiques, scientifiques
et industrielles ? C’est là une bourse où l’on gagne toujours sans rien
faire perdre à personne. Cela n’empêche pas les fondations au profit des
malheureux ; mais nous disons de plus que lorsque les hommes comprendront mieux
leurs intérêts du ciel, il y aura moins de monde dans les hospices.
Si les assemblées religieuses, nous parlons en général,
sans faire allusion à aucun culte, se sont trop souvent écartées du but
primitif principal, qui est la communion fraternelle de la pensée ; si
l’enseignement qui y est donné n’a pas toujours suivi le mouvement progressif
de l’humanité, c’est que les hommes n’accomplissent pas tous les progrès à la
fois ; ce qu’ils ne font pas dans une période, ils le font dans une
autre ; à mesure qu’ils s’éclairent, ils voient les lacunes qui existent
dans leurs institutions, et ils les remplissent ; ils comprennent que ce
qui était bon à une époque, eu égard au degré de la civilisation, devient
insuffisant dans un état plus avancé, et ils rétablissent le niveau. Le Spiritisme, nous le savons, est le grand
levier du progrès en toutes choses ; il marque une ère de rénovation.
Sachons donc attendre, et ne demandons pas à une époque plus qu’elle ne peut
donner. Comme les plantes, il faut que les idées mûrissent pour en récolter les
fruits. Sachons, en outre, faire les concessions nécessaires aux époques de
transition, car rien, dans la nature, ne s’opère d’une manière brusque et
instantanée.
Nous avons dit que le véritable but des assemblées
religieuses doit être la communion de pensées ; c’est qu’en effet le mot
religion veut dire lien ; une religion, dans son acception large et vraie,
est un lien qui relie les hommes dans une communauté de sentiments, de
principes et de croyances ; consécutivement, ce nom a été donné à ces
mêmes principes codifiés et formulés en dogmes ou articles de foi. C’est en ce
sens que l’on dit : la religion politique ; cependant, dans cette
acception même, le mot religion n’est pas synonyme d’opinion ; il implique
une idée particulière : celle de foi consciencieuse ; c’est pourquoi
on dit aussi : la foi politique. Or, des hommes peuvent s’enrôler, par
intérêt, dans un parti, sans avoir la foi de ce parti, et la preuve en est,
c’est qu’ils le quittent, sans scrupule, quand ils trouvent leur intérêt
ailleurs, tandis que celui qui l’embrasse par conviction est
inébranlable ; il persiste au prix des plus grands sacrifices, et c’est
l’abnégation des intérêts personnels qui est la véritable pierre de touche de
la foi sincère. Toutefois, si le renoncement à une opinion, motivé par
l’intérêt, est un acte de lâcheté méprisable, il est respectable, au contraire,
lorsqu’il est le fruit de la reconnaissance de l’erreur où l’on était ;
c’est alors un acte d’abnégation et de raison. Il y a plus de courage et de
grandeur à reconnaître ouvertement qu’on s’est trompé, qu’à persister, par
amour-propre, dans ce que l’on sait être faux, et pour ne pas se donner un
démenti à soi-même, ce qui accuse plus d’entêtement que de fermeté, plus
d’orgueil que de jugement, et plus de faiblesse que de force. C’est plus
encore : c’est de l’hypocrisie, parce qu’on veut paraître ce qu’on n’est
pas ; c’est en outre une mauvaise action, parce que c’est encourager
l’erreur par son propre exemple.
Le lien établi par une religion, quel qu’en soit l’objet,
est donc un lien essentiellement moral, qui relie les cœurs, qui identifie les
pensées, les aspirations, et n’est pas seulement le fait d’engagements
matériels qu’on brise à volonté, ou de l’accomplissement de formules qui
parlent aux yeux plus qu’à l’esprit. L’effet de ce lien moral est d’établir entre ceux qu’il unit, comme
conséquence de la communauté de vues et de sentiments, la fraternité et la
solidarité, l’indulgence et la bienveillance mutuelles. C’est en ce sens qu’on
dit aussi : la religion de l’amitié, la religion de la famille.
S’il en est ainsi, dira-t-on, le Spiritisme est donc
une religion ? Eh bien, oui ! sans doute, Messieurs ; dans le
sens philosophique, le Spiritisme est une religion, et nous nous en glorifions,
parce que c’est la doctrine qui fonde les liens de la fraternité et de la
communion de pensées, non pas sur une simple convention, mais sur les bases les
plus solides : les lois mêmes de la nature.
Pourquoi donc avons-nous déclaré que le Spiritisme
n’est pas une religion ? Par la raison qu’il n’y a qu’un mot pour exprimer
deux idées différentes, et que, dans l’opinion générale, le mot religion est
inséparable de celle de culte ; qu’il réveille exclusivement une idée de
forme, et que le Spiritisme n’en a pas. Si le Spiritisme se disait religion, le
public n’y verrait qu’une nouvelle édition, une variante, si l’on veut, des
principes absolus en matière de foi ; une caste sacerdotale avec son
cortège de hiérarchies, de cérémonies et de privilèges ; il ne le séparerait
pas des idées de mysticisme, et des abus contre lesquels l’opinion s’est
souvent élevée.
Le Spiritisme, n’ayant aucun des caractères d’une
religion, dans l’acception usuelle du mot, ne pouvait, ni ne devait se parer
d’un titre sur la valeur duquel on se serait inévitablement mépris ; voilà
pourquoi il se dit simplement : doctrine philosophique et morale.
Les réunions spirites peuvent donc être tenues
religieusement, c’est-à-dire avec le recueillement et le respect que comporte
la nature grave des sujets dont on s’y occupe ; on peut même y dire, à
l’occasion, des prières qui, au lieu d’être dites en particulier, sont dites en
commun, sans être pour cela ce qu’on entend par assemblées religieuses. Qu’on
ne croie pas que ce soit là jouer sur les mots ; la nuance est
parfaitement claire, et l’apparente confusion ne vient que faute d’un mot pour
chaque idée.
Quel est donc le lien qui doit exister entre les
Spirites ? Ils ne sont unis entre eux par aucun contrat matériel, par
aucune pratique obligatoire ; quel est le sentiment dans lequel doivent se
confondre toutes les pensées ? C’est un sentiment tout moral, tout
spirituel, tout humanitaire : celui de la charité pour tous, autrement
dit : l’amour du prochain qui comprend les vivants et les morts, puisque
nous savons que les morts font toujours partie de l’humanité.
La charité est l’âme du Spiritisme : elle résume
tous les devoirs de l’homme envers lui-même et envers ses semblables ;
c’est pourquoi on peut dire qu’il n’y a pas de vrai Spirite sans charité.
Mais la charité, c’est encore un de ces mots à sens
multiple dont il est nécessaire de bien comprendre toute la portée ; et si
les Esprits ne cessent de la prêcher et de la définir, c’est que, probablement,
ils reconnaissent que cela est encore nécessaire.
Le champ de la charité est très vaste ; il
comprend deux grandes divisions que, faute de termes spéciaux, on peut désigner
par les mots : Charité bienfaisante et charité bienveillante. On comprend
facilement la première, qui est naturellement proportionnée aux ressources
matérielles dont on dispose ; mais la seconde est à la portée de tout le
monde, du plus pauvre comme du plus riche. Si la bienfaisance est forcément
limitée, rien autre que la volonté ne saurait poser des bornes à la
bienveillance.
Que faut-il donc pour pratiquer la charité
bienveillante ? Aimer son prochain comme soi-même : or, si l’on aime
son prochain autant que soi, on l’aimera beaucoup ; on agira envers autrui
comme on voudrait que les autres agissent envers nous ; on ne voudra ni ne
fera de mal à personne, parce que nous ne voudrions pas qu’on nous en fît.
Aimer son prochain, c’est donc abjurer tout sentiment
de haine, d’animosité, de rancune, d’envie, de jalousie, de vengeance, en un
mot, tout désir et toute pensée de nuire ; c’est pardonner à ses ennemis
et rendre le bien pour le mal ; c’est être indulgent pour les
imperfections de ses semblables et ne pas chercher la paille dans l’œil de son
voisin, alors qu’on ne voit pas la poutre qu’on a dans le sien ; c’est
voiler ou excuser les fautes d’autrui, au lieu de se complaire à les mettre en
relief par esprit de dénigrement ; c’est encore de ne pas se faire valoir
aux dépens des autres ; de ne chercher à écraser personne sous le poids de
sa supériorité ; de ne mépriser personne par orgueil. Voilà la vraie
charité bienveillante, la charité pratique, sans laquelle la charité est un
vain mot ; c’est la charité du vrai Spirite comme du vrai chrétien ;
celle sans laquelle celui qui dit : Hors la charité point de salut,
prononce sa propre condamnation, en ce monde aussi bien qu’en l’autre.
Que de choses il y aurait à dire sur ce sujet !
Que de belles instructions nous donnent sans cesse les Esprits ! Sans la crainte d’être trop long
et d’abuser de votre patience, messieurs, il serait facile de démontrer qu’en
se plaçant au point de vue de l’intérêt personnel, égoïste, si l’on veut, car
tous les hommes ne sont pas encore mûrs pour une abnégation complète, pour
faire le bien uniquement pour l’amour du bien, il serait, dis-je, facile de
démontrer qu’ils ont tout à gagner à agir de la sorte et tout à perdre en
agissant autrement, même dans leurs relations sociales ; puis, le bien
attire le bien et la protection des bons Esprits ; le mal attire le mal et
ouvre la porte à la malveillance des mauvais. Tôt ou tard l’orgueilleux est châtié par
l’humiliation, l’ambitieux par les déceptions, l’égoïste par la ruine de ses
espérances, l’hypocrite par la honte d’être démasqué ; celui qui abandonne
les bons Esprits en est abandonné, et, de chute en chute, se voit enfin au fond
de l’abîme, tandis que les bons Esprits relèvent et soutiennent celui qui, dans
ses plus grandes épreuves, ne cesse de se confier en la Providence et ne dévie
jamais du droit chemin ; celui, enfin, dont les secrets sentiments ne
dissimulent aucune arrière-pensée de vanité ou d’intérêt personnel. Donc, d’un
côté, gain assuré ; de l’autre, perte certaine ; chacun, en vertu de
son libre-arbitre, peut choisir la chance qu’il veut courir, mais ne pourra
s’en prendre qu’à lui-même des conséquences de son choix.
Croire en un Dieu tout-puissant, souverainement juste
et bon ; croire en l’âme et en son immortalité ; à la préexistence de
l’âme comme seule justification du présent ; à la pluralité des existences
comme moyen d’expiation, de réparation et d’avancement intellectuel et
moral ; à la perfectibilité des êtres les plus imparfaits ; à la
félicité croissante avec la perfection ; à l’équitable rémunération du
bien et du mal, selon le principe : à chacun selon ses œuvres ; à l’égalité
de la justice pour tous, sans exceptions, faveurs ni privilèges pour aucune
créature ; à la durée de l’expiation limitée à celle de
l’imperfection ; au libre-arbitre de l’homme, qui lui laisse toujours le
choix entre le bien et le mal ; croire à la continuité des rapports entre
le monde visible et le monde invisible ; à la solidarité qui relie tous
les êtres passés, présents et futurs, incarnés et désincarnés ; considérer
la vie terrestre comme transitoire et l’une des phases de la vie de l’Esprit,
qui est éternelle ; accepter courageusement les épreuves en vue de
l’avenir plus enviable que le présent ; pratiquer la charité en pensées,
en paroles et en actions dans la plus large acception du mot ; s’efforcer
chaque jour d’être meilleur que la veille, en extirpant quelque imperfection de
son âme ; soumettre toutes ses croyances au contrôle du libre examen et de
la raison, et ne rien accepter par la foi aveugle ; respecter toutes les
croyances sincères, quelque irrationnelles qu’elles nous paraissent, et ne
violenter la conscience de personne ; voir enfin dans les découvertes de
la science la révélation des lois de la nature, qui sont les lois de
Dieu : voilà le Credo, la religion du Spiritisme, religion qui peut se
concilier avec tous les cultes, c’est-à-dire avec toutes les manières d’adorer
Dieu. C’est le lien qui doit unir tous les Spirites en une sainte communion de
pensées, en attendant qu’il rallie tous les hommes sous le drapeau de la
fraternité universelle.
Avec la fraternité, fille de la charité, les hommes
vivront en paix, et s’épargneront les maux innombrables qui naissent de la
discorde, fille à son tour de l’orgueil, de l’égoïsme, de l’ambition, de la
jalousie et de toutes les imperfections de l’humanité.
Le Spiritisme donne aux hommes tout ce qu’il faut pour
leur bonheur ici-bas, parce qu’il leur apprend à se contenter de ce qu’ils
ont ; que les Spirites soient donc les premiers à profiter des bienfaits
qu’il apporte, et qu’ils inaugurent entre eux le règne de l’harmonie qui
resplendira dans les générations futures.
Les Esprits qui nous entourent ici sont innombrables,
attirés par le but que nous nous sommes proposé en nous réunissant, afin de
donner à nos pensées la force qui naît de l’union. Donnons à ceux qui nous sont
chers un bon souvenir et un gage de notre affection, des encouragements et des
consolations à ceux qui en ont besoin. Faisons en sorte que chacun recueille sa
part des sentiments de charité bienveillante dont nous serons animés, et que
cette réunion porte les fruits que tous sont en droit d’en attendre.